Depuis plus de trente ans, Arnaud Fournier façonne le paysage de la scène expérimentale française. Au sein du duo Hint d’abord, fusion singulière de musiques expérimentales, noise et indie, pour trois albums studio à la fin des années 90 et beaucoup de concerts depuis (occasion d’un album live avec EZ3kiel en 2009). Mais aussi avec La Phaze (1999), Dead Hippies (2013) ou encore Atonalist (2017), il a toujours eu pour instinct de croiser les genres et de faire dialoguer les extrêmes. Avec 100% Black Puzzle, il signe en 2025 son tout premier album sous son propre nom, une œuvre où se rencontrent guitares saturées, saxophones, trompette, loops hypnotiques, et nappes de drones.
Le projet naît en décembre 2020, lors d’une résidence en solo à la Friche Antre-Peaux de Bourges. Sans ébauches ni partitions, Fournier s’installe avec ses instruments, ses amplis et ses machines, et improvise une première performance de 45 minutes, diffusée en live sur internet. De ce moment de tension créative surgit l’étincelle : la volonté de prolonger cette expérience instinctive. Les premiers concerts, donnés en 2021 en ouverture de l’illustre Thurston Moore (Sonic Youth), confirment le potentiel du projet et font naître l’envie et l’évidence d’un album.
Mixé et masterisé par Olivier “Cali” Fournier au Studioscope d’Angers, 100% Black Puzzle s’entoure de visages connus. Et son titre résonne comme un écho : il répond directement à 100% White Puzzle, premier album de Hint. Trente ans plus tard, Arnaud Fournier retrouve le même état d’esprit de liberté totale sur ces cinq titres que constituent l’album, sans carcan de format ni contrainte de durée. Le morceau qui donne son nom au disque, long instrumental de huit minutes, ouvre le chemin comme un premier geste brut, capté dans l’urgence, un peu comme « se retrouver une fois de plus dans ce mood de premier morceau, sans aucun carcan », selon ses propres mots.
Mais le disque ne se réduit pas à ce clin d’œil au passé : il s’écrit aussi comme un récit intime, profondément marqué par les rencontres ayant jalonné la carrière de l’artiste. « It’s The Leaving That’ll Kill You » accueille la voix de David Ivar Herman Düne, compagnon de route dont Arnaud est aussi le tour manager. La chanson naît d’une séquence jouée « comme une pop song », où Arnaud Fournier se risque à structurer refrains et couplets, aussitôt habités par la voix singulière de David. Sur ce titre résonne également la présence de Philippine, la fille cadette d’Arnaud, qui chante les chœurs et joue de l’euphonium, ajoutant à la fragilité du morceau une chaleur inattendue. À travers lui, c’est aussi la difficulté des séparations après l’intimité des tournées qui affleure, mais également la possibilité de réinventer la proximité dans la musique.
D’autres morceaux prolongent cette logique du dialogue et de la mise à nu. Enregistré avec Frédéric D. Oberland (Oiseaux-Tempête), Miroirs est une rencontre sans filet, entre deux musiciens à l’instrumentarium singulier mais similaire (guitare & sax), installés face à face en studio, décidant de « jouer et voir ce qui sort ». Quant à Shiny Rebirth, il ramène Arnaud Fournier à son histoire la plus fondatrice : pour la première fois depuis 1999, il retrouve Hervé Thomas, son partenaire de Hint. « L’alchimie entre nous est absolument intacte », dit-il aujourd’hui, et ce titre en porte la preuve la plus éclatante. Le résultat est une pièce frontale, faite de guitares, saxophones et textures qui se heurtent et se mêlent dans l’instant, comme le reflet de leur complicité. Et comme une manière de boucler la boucle, celle des rencontres et de ce qui naît grâce à elles.
Cet équilibre entre histoire personnelle et mémoire collective traverse tout le disque. L’artwork est confié à Jonathan Marinier alias LLcooljo, voisin et complice graphique. Garance, la fille aînée d’Arnaud Fournier, signe quant à elle les photographies argentiques qui habillent l’artwork du gatefold : New York d’un côté, Belle-Île de l’autre. Deux lieux qui incarnent pour Arnaud Fournier deux polarités essentielles — la ville rêvée, saturée de musiques et d’images, et l’île refuge, familiale et ressourçante. À travers elles, l’album s’ancre aussi dans une géographie intime, entre urbanité et nature ; intensité et respiration.
Avec 100% Black Puzzle, Arnaud Fournier assume pleinement la signature de son propre nom. Ni pseudonyme ni masque, mais une mise à nu : un disque profondément intime, nourri de famille et d’amitiés, où le bruit et la beauté ne cessent de s’attirer et de se repousser. Trente ans après avoir bousculé la scène indé française avec Hint, il livre une œuvre à la fois rétrospective et tournée vers l’avenir, un puzzle noir qui résonne comme une renaissance. Et quoi de mieux pour « boucler la boucle » que de repartir en tournée ?