Les précommandes pour le prochain album de Jean-Philippe Goude, « Le Salon Noir » sont ouvertes !
Mais qu’est-ce qui nous fascine donc dans ces cavités pleines de ténèbres, dans ces peintures hors d’âge qui couvrent des pierres ruisselantes, dans cet air vicié, presqu’irrespirable ? Pourquoi sommes-nous saisis par un vertige à la vision de ces mains rouges appliquées contre la roche comme la trace bien vivante d’un être qui cherche à traverser la matière et les espaces-temps ? Peut-être ces grottes aux rêves perdus nous renvoient-elles à notre animalité première, à cette mémoire d’avant la mémoire, à ce cerveau reptilien si négligé dans notre temps présent ? Et si ces grottes étaient le témoin, l’acteur d’une mémoire délaissée et oubliée ? Et si ces lieux à la fois paisibles et inquiétants étaient bien plus que des refuges ? Dans ces gouffres, le temps n’est plus le même, tout s’évapore dans une forme de décélération, même le son gagne en ampleur dans un écho qui n’en finit pas de mourir. Entrer en de tels lieux, c’est un peu comme échapper à la fièvre et la frénésie d’un monde qui a oublié de se regarder vivre et de contempler l’impermanence des choses.
C’est un peu à partir d’une interrogation similaire et singulière qu’a amorcé son travail sur Le Salon Noir le compositeur francais Jean-Philippe Goude voici quatorze ans. De cette longue gestation naît une œuvre étonnante qui se joue elle-aussi des chronologies temporelles. La musique de Goude renvoie aussi bien au courant Baroque pour ce jeu avec le contrepoint. Henry Purcell, Jean-Sébastien Bach se convient à cet univers à la fois ombrageux et accueillant. Mais Goude joue aussi avec la dissonance un peu à la manière d’un Benjamin Britten. Ni atonale, ni romantique mais un peu des deux mais aussi beaucoup d’autre chose, Le Salon Noir cherche surtout à décrire notre fascination mêlée à une mélancolie profonde face à la contemplation des grottes, ces premiers lieux où l’art s’est exposé. Pour ce disque, Jean-Philippe Goude a voulu illustrer tous ces sentiments ressentis et ce raisonnement qui s’impose à nous à la vision de cette grotte située en Ariège, la Grotte de Niaux et ses peintures pariétales magdaléniennes, ces bisons, ces chevaux et bouquetins comme autant de témoignages d’une mémoire animiste. Devant nous et à travers cette musique limpide se tient toujours l’impénétrable mystère de notre présence au monde. Ce qui n’aurait pu être qu’une contemplation passive s’avère devenir une sorte de transe méditative ouverte sur la singularité originelle de notre espèce.
Cette œuvre magnifique invite les vivants que nous sommes à éprouver ce que les premiers morts de notre espèce ont voulu nous transmettre. Elle permet aussi de comprendre que le plus profond témoignage de la conscience qu’a l’homme de sa présence énigmatique au monde passe par la création. Jean-Philippe Goude, musicien médiumnique qui reconduit l’inquiétude de ces pionniers de l’image en mouvement, trouve là une définition de l’art à sa mesure. Il rappelle ô combien la musique est un art du mouvement et de la vie. La musique de Jean-Philippe Goude devient sans doute sans même le vouloir un acte hantologique et politique. La composition de Jean-Philippe Goude devient à elle seule un art de la hantise. Mais qu’est-ce que la hantise si ce n’est le surgissement du passé dans le présent, le parasitage du passé par une pulsion vibrante du présent ? Ce n’est pas seulement un geste poétique, c’est aussi remémorer ce qu’il y a de sacré, de mystique dans la profondeur de notre humanité, dans la préhistoire de notre âge dans notre société laïque qui ne cesse pourtant de se délester de toute religiosité.
Ce qui est remarquable dès la première écoute du Salon Noir, c’est ce rapport important à la voix, en particulier dans cette collaboration avec Le contre-ténor Paulin Bündgen. Le Salon Noir fait systématiquement des pas de deux entre les envies de classification, certaines pièces renvoyant assurément à la scène contemporaine et à une forme d’atonalité quand d’autres englobent des sphères plus harmoniques. De toute façon, Jean-Philippe Goude se joue des étiquettes avec malice depuis ses débuts, lui qui a aussi bien collaboré avec Renaud (en composant entre autres le thème instrumental de Mistral Gagnant) que poursuivant un certain chemin dans la musique contemporaine. Le Salon Noir perpétue cette volonté et en cela respecte l’intimité et l’éternité de la Grotte de Niaux.
Accompagné sur ce disque par Bruno Fontaine (piano), Paul Meyer (clarinette), Gilbert Audin (basson), Éric Lamberger (clarinette basse), Sébastien Surel (1er violon), Jean-Marc Phillips (violon) , Michel Michalakakos (alto), Cyrill Lacrouts (violoncelle), Éric-Maria Couturier (violoncelle), Benoît Dunoyer de Segonzac (contrebasse) et Paulin Bündgen (contre-ténor), Jean-Philippe Goude signe une œuvre troublante, intemporelle, hardie et exigeante, universelle et nécessaire. Il traduit en notes les inquiétudes communes à l’humanité de tous les âges. A ce stade-là, il ne fait ni un travail d’archéologue, ni celui d’un anthropologue. Ce qui l’habite, c’est de ne pas oublier ce qui relie fondamentalement nos vies à la Terre d’hier, d’aujourd’hui et à celle de demain.
L’album sera disponible le 13 octobre prochain en CD / Digital.